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Le COVID-19 s’est invité dans les baux commerciaux : le locataire doit-il continuer à payer son loyer au bailleur ?

22 avril 2020

Introduction

La crise sanitaire liée au coronavirus et les mesures de confinement adoptées par le gouvernement fédéral qui en découlent plongent l’ensemble du pays dans une situation tout à fait inédite qui affecte les activités de tous.

Par arrêté ministériel du 18 mars 2020 portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19 [1], abrogé par arrêté ministériel du 23 mars [2] qui a été modifié par arrêtés ministériels du 24 mars 2020 [3] et du 3 avril 2020 [4], de nombreux commerçants se sont vu imposer la fermeture de leur établissement.

Les coiffeurs, qui n’étaient à la base pas visés par les mesures, ont finalement dû fermer leur salon suite à l’arrêté ministériel du 24 mars 2020.

Dans ce scénario, il est impossible au bailleur de fournir la jouissance des lieux loués. En conséquence, le commerçant locataire empêché d’exploiter les lieux loués peut-il suspendre le paiement de son loyer ?

Il est important de mentionner que le contrat de bail est un contrat synallagmatique. Il implique des obligations réciproques dans le chef du bailleur et du locataire. Conformément à l’article 1719, 3° du Code civil, l’obligation essentielle du bailleur est de fournir la jouissance des lieux loués au locataire. En contrepartie, sur la base de l’article 1728, 2° du même Code, l’obligation essentielle du preneur est de payer un loyer au bailleur.

L’examen préalable du contrat de bail

Le contrat de bail conclu entre le bailleur et le preneur est susceptible de comporter des règles applicables lors de la survenance de cas de force majeure ou de situations similaires. Ces règles inscrites au sein du contrat de bail prennent la forme d’une clause de force majeure ou d’une clause d’imprévision.

La force majeure peut être définie comme un évènement imprévisible survenu postérieurement à la conclusion de la convention, qui rend impossible l’exécution de l’obligation du débiteur, indépendamment de toute faute de ce dernier. La survenance d’un cas de force majeure implique qu’une partie est temporairement ou définitivement libérée de l’exécution de ses obligations.

La clause d’imprévision prévoit quant à elle que le contrat peut être renégocié en cas de circonstances extérieures créant un déséquilibre économique entre les parties.

Quid en l’absence de clauses contractuelles spécifiques ?

La fermeture des commerces imposée par les autorités peut être considérée comme une cause d’exonération de responsabilité pour le bailleur, à titre de « Fait du Prince », constituant un cas spécifique de force majeure.

Le « Fait du Prince » s’entend de tout empêchement résultant d’un ordre ou d’une prohibition émanant de l’autorité publique et qui constitue une cause étrangère justifiant l’inexécution des obligations telles que prévues par le contrat.

Il convient toutefois que cet ordre ait été imprévisible au moment de la conclusion du contrat, soit inévitable du point de vue du débiteur et ne soit pas attribuable au débiteur ou à une personne dont il est responsable.

La fermeture imposée des commerces et l’impossibilité pour le bailleur de fournir la jouissance de la chose qui en découle peut déclencher l’application de la théorie des risques.

Par un arrêt de principe du 13 janvier 1956 [5], la Cour de Cassation a consacré l’effet suspensif de la force majeure temporaire dans le cadre de la théorie des risques :

« La force majeure, qui empêche une partie de remplir ses obligations, suspend l’exécution de tous les engagements nés d’un contrat synallagmatique, lorsque cet empêchement n’est que temporaire et que le contrat peut encore être utilement exécuté après le délai convenu ».

Il faut dès lors considérer que le preneur est lui aussi libéré temporairement de l’exécution de ses propres obligations contractuelles, dont le paiement du loyer.

L’application de la théorie des risques a un effet suspensif et non extinctif.

Il convient de faire attention à certains cas particuliers comme les restaurants où certains occupent toujours les lieux loués pour concocter et livrer des repas à domicile. Dans ce cas-là, nous pourrions aller vers une suspension partielle des obligations et donc du paiement du loyer. L’activité doit cependant toujours se faire au départ des lieux loués.

En guise de conclusion

En tant que bailleur ou locataire, il est important d’analyser le contrat de bail conclu et de vérifier ce que ce dernier prévoit en matière de force majeure et d’imprévision.

En l’absence de clauses contractuelles spécifiques, sur la base de la théorie des risques, le bailleur se trouve dans l’impossibilité de fournir la jouissance de la chose au locataire qui est quant à lui libéré temporairement du paiement de son loyer.

Dès que la mesure de fermeture des commerces sera levée, le bailleur pourra à nouveau satisfaire à son obligation d’assurer la jouissance des lieux loués et le preneur devra reprendre le paiement de son loyer.

Toutefois, vu la situation inédite dans laquelle se trouvent actuellement bailleur et locataire, en cas d’introduction d’une procédure en justice par le bailleur pour non-paiement des loyers, les décisions prises par les Juges de Paix seront susceptibles d’être disparates dans la manière d’appréhender ces notions de force majeure et d’imprévision.

Plus que jamais, le dialogue entre le bailleur et le preneur est indispensable afin que chacun puisse sortir de cette crise dans les meilleures conditions.

[1] M.B., 18 mars 2020.

[2] M.B., 23 mars 2020.

[3] M.B., 24 mars 2020.

[4] M.B., 3 avril 2020.

[5] Pas., 1956, I, p. 460.

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